Regulatory & Compliance

Dernières évolutions de la législation européenne sur le blanchiment d'argent

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L'Union européenne (UE) connaît actuellement des développements passionnants en matière de législation sur le blanchiment d'argent. Le secteur des prestataires de services sur cryptoactifs et les négociants de produits de luxe tels que les métaux précieux et les pierres précieuses, les bijoux, les automobiles, les œuvres d'art, les yachts, etc. sont concernés par le texte de la future réglementation. Les clubs et les agents de football professionnels devraient également être affectés. De plus, est introduite, une limite maximale de 10’000 euros fixée à l’échelle de l’UE pour les paiements en espèces. Une nouvelle autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux de l’EU (AMLA) sera créée. Cet article présente les principales nouveautés, au niveau de l'UE, susceptibles d’influencer à moyen terme la législation suisse en matière de blanchiment d'argent.
Contenu

Classification des nouveautés1

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Il s'agit d'une présentation très simplifiée qui doit permettre une première classification rapide du sujet. Chaque institution doit déterminer la pertinence et le besoin d'action de manière individuelle et spécifique.

Paquet législatif anti-blanchiment pour renforcer les règlementations de l'UE

Le paquet législatif présenté par la Commission européenne devant encore être approuvé et dont la date d’entrée en vigueur est encore à définir, comprend :

  • une Directive sur les mécanismes de lutte contre le blanchiment de capitaux ("AMLD") qui contient des dispositions relatives à l'organisation du système institutionnel ; et qui régit notamment les tâches et les pouvoirs des autorités de surveillance et des cellules de renseignement financier (CRF).
  • un Règlement sur l'obligation du secteur privé de lutter contre le blanchiment d'argent ("AMLR"). Cette ordonnance régit les obligations matérielles de diligence raisonnable des assujettis. L'objectif des dispositions est d'uniformiser et de clarifier les règles applicables.
  • un Règlement instituant une nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent ("AMLA ») qui définit principalement les tâches et les pouvoirs de cette entité.
  • Une refonte du Règlement sur les transferts de fonds ("TFR"), portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds pour couvrir les cryptoactifs afin d’améliorer leur transparence et traçabilité.

Sur le plan matériel, les nouveautés de l'AMLD, de l'AMLR et de l'AMLA sont particulièrement importantes.

Règlement sur l'obligation du secteur privé de lutter contre le blanchiment d'argent ("AMLR")

La nouveauté la plus significative est sans doute l’extension de la liste des entités juridiques assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment d'argent. Par exemple, tous les fournisseurs de services de cryptoactifs seront désormais tenus d’appliquer des mesures de diligence raisonnable à leurs clients dès lors que des transactions d'une valeur de 1’000 euros ou plus sont effectuées. De plus, les commerçants de produits de luxe (y compris les négociants en métaux précieux et en pierres précieuses, les bijoutiers, les orfèvres, mais aussi les commerçants de voitures de luxe, d’avions, de yachts, d’œuvres d’art, etc.) seront également soumis à des obligations de diligence raisonnable et de déclaration à l'avenir.  En outre, à partir de 2029 (une période de transition prolongée s'applique ici), les clubs et agents de football professionnels devront appliquer des obligations de diligence raisonnable dans certains cas et signaler les transactions suspectes aux CRF.

La fixation d'un plafond de 10’000 euros pour les paiements en espèces dans toute l'UE est également une mesure d’envergure. A l’avenir, les personnes qui souhaiteront effectuer un paiement en espèce de 10’000 euros ou plus devront s’identifier et prouver la provenance de l'argent. D'autre part, les commerçants seront tenus de consigner les informations reçues. 

Pour les personnes très fortunées (dites ultra-riches avec une fortune nette ≥ 50 millions d'euros), les obligations de diligence renforcée prévues par la loi s'appliqueront directement. 

Contrairement à la Suisse, l'UE tient déjà un registre des bénéficiaires effectifs (nous avons déjà abordé ce sujet en février 2024). A l'avenir, certaines entités juridiques étrangères seront également tenues de s'inscrire au registre des bénéficiaires effectifs. Ceci lorsqu'elles contrôlent effectivement la propriété d'une personne morale ou bénéficient du fait que le titre ou la propriété est libellé à un autre nom. La propriété effective repose donc sur deux éléments : la propriété et le contrôle. Le seuil de 25% reste déterminant. Outre les personnes déjà autorisées à accéder au registre (par exemple, les autorités de surveillance et autres autorités), les représentants du public (par exemple, la presse) auront désormais également accès au registre, à condition qu’ils aient un intérêt légitime. 

Règlement instituant une nouvelle autorité de l’UE de lutte contre le blanchiment d'argent ("AMLA")

La nouvelle autorité sera basée à Francfort et devrait être opérationnelle à la mi-2025. Les principales missions de la nouvelle autorité seront la surveillance directe de certaines institutions à haut risque (par exemple, les fournisseurs de services de cryptoactifs) et la coordination des CRF. La nouvelle autorité aura également le pouvoir d'imposer des sanctions et des amendes en cas d'infractions graves.

Directive sur les mécanismes de lutte contre le blanchiment d'argent ("AMLD")

Les pouvoirs des CRF, c'est-à-dire les cellules de renseignement financier, seront renforcés. Afin d'analyser et de détecter correctement les cas et de suspendre les transactions suspectes, elles se verront notamment accorder un accès direct aux informations financières, administratives et judiciaires.

Conclusion et calendrier

Début 2024, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord sur une partie du paquet de propositions législatives présenté en 2021 pour renforcer les règles de l'UE en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. La version finale du compromis est actuellement en cours d’approbation par le Comité des représentants permanents des États membres. Une fois les décrets publiés dans le Journal officiel de l'UE, les lois entreront formellement en vigueur. Les deux règlements ("AMLR" et "AMLA") sont en principe directement applicables aux États membres de l'UE. Pour la directive ("AMLD"), les Etats membres disposent de 3 ans pour transposer les dispositions dans leur système juridique national. L'entrée en vigueur matérielle de la directive peut donc être attendue pour le premier trimestre 2027. Cependant, un report est tout à fait possible. Les règlements entrent automatiquement en vigueur, sans qu'il soit nécessaire de les transposer dans les législations nationales respectives. 

N'étant pas membre de l'UE, la Suisse n'est pas directement concernée par les nouveautés apportées aux mesures de lutte contre le blanchiment d’argent de l’UE. Toutefois, les développements législatifs au sein de l'UE ont une influence significative sur la législation suisse, d'autant plus que la lutte contre le blanchiment d'argent figure en tête de liste des priorités en Suisse. Il faut donc s'attendre à ce que – particulièrement les ajustements dans l’AMLR -  soient tôt ou tard repris sous une forme similaire dans la législation suisse.